"The thought of wandering hijacks the imaginary, projects us far from that prison cave where we were packed, which is the hold or cay of so-called powerful uniqueness. We're bigger than all the variances in the world! From its absurdity, where I nevertheless imagine." (traduction personnelle) Edouard Glissant official website Edouard Glissant official website [accessed April 25, 2022]. Available at: <http:// www.edouardglissant.fr/errance.html>
At no point in the migratory process does uprooting produce visible changes in space for the uprooted person. As a migrant, man does not leave the imprint of his absence on the ground, like the gaping trench of a tree that is dug up, unlike the instrument of violence that reduces him to exile in order to supplant him. Uprooting is a metaphor for migration, represented as the uprooting of the migrant from the "roots" of his native land, based on the myth of autochthony, according to which a person is born in a land and the coherence of his identity rests on the intrinsic links, described as roots, that unite him to that land. Stemming from the mythologies of Antiquity, both polytheistic and monotheistic, this belief shows us that the space in which identity is constructed is first and foremost that of the imagination, and its consolidation that of social interactions circumscribed to a territory. This belief is widespread in our societies, but it is not unique, since it excludes all individuals who are not sedentary, and whose identity is defined by relationships rather than by a place. Uprooting therefore refers to the feeling of pain experienced by human beings when they migrate. Indeed, since the 21st century, the term "migrant" has replaced "refugee" as a pejorative term in Western countries to designate people from non-Western countries who are forced to leave their country of origin. This evolution of language reflects the dominance of autochthony in our societies, and the extent to which it feeds the rejection of all forms of otherness. The word "migrant" condemns the individual to wandering, marginality and solitude. The expression "uprooted" perhaps contains within it a fatality: that of the man-tree condemned to die, deprived of its "original" sap. But what about the individual imaginaries that shape the intimate spaces of migrants, mestizos from the migrations of the Second World War, colonialism, post-colonialism, migrants-mestizos and their descendants? This is the transversal question of my approach, as a person of mixed race born of the encounter between two migrants from the heart of the French West Indies and Eastern Europe respectively. I have chosen to represent the intimate spaces of uprooting, gradually moving away from this Descartesian and Anthropocene vision of domination over the inanimate living. Through movement, the watercourses of watercolor, the forests and leaves of oil and turpentine are not circumscribed on the support, yet define it through the uncertainty of the contours formed by their intersections. No frame, no mark of delimitation contains the nature present in my paintings. I've noticed that the plant metaphor can inscribe the parallel between man and nature in a mythical imaginary outside autochthony, using the mangrove as an ecosystem, in which Edouard Glissant sees creolization without reducing it to a symbol. Nature does not remember man, but man must remember at nature's expense. So how can we find a point of coincidence between these two contradictions in the visual arts, without historicizing and decontextualizing the violence inflicted by man on man? From a visual artist's point of view, defining this space of uprootedness as intimate allows me to summon history through the prism of my own memory.
A aucun moment du processus migratoire, le déracinement ne produit de changements visibles dans l'espace pour le déraciné. En tant que migrant, l'homme ne laisse pas l'empreinte de son absence sur le sol, comme la tranchée béante d'un arbre que l'on déterre, contrairement à l'instrument de violence qui le réduit à l'exil pour le supplanter. Le déracinement est une métaphore de la migration, représentée comme l'arrachement du migrant aux "racines" de sa terre natale, sur la base du mythe de l'autochtonie, selon lequel une personne naît sur une terre et la cohérence de son identité repose sur les liens intrinsèques, qualifiés de racines, qui l'unissent à cette terre. Issue des mythologies de l'Antiquité, tant polythéistes que monothéistes, cette croyance nous montre que l'espace de construction de l'identité est d'abord celui de l'imaginaire, et sa consolidation celui des interactions sociales circonscrites à un territoire. Cette croyance est répandue dans nos sociétés, mais elle n'est pas unique, puisqu'elle exclut tous les individus qui ne sont pas sédentaires, et dont l'identité se définit par des relations plutôt que par un lieu. Le déracinement désigne donc le sentiment de douleur éprouvé par les êtres humains lorsqu'ils migrent. En effet, depuis le XXIe siècle, le terme "migrant" a remplacé le terme "réfugié" comme terme péjoratif dans les pays occidentaux pour désigner les personnes originaires de pays non occidentaux qui sont contraintes de quitter leur pays d'origine. Ce glissement de langage reflète la dominance de l’autochtonie dans nos sociétés et à quel point elle nourrit le rejet de toute forme d’altérité. L’individu désigné comme migrant est condamné par le verbe, à l’errance, et par conséquent à la marginalité et à la solitude. L’expression de déraciné contient peut-être en son sein une fatalité : celle de l’homme-l’arbre condamné à mourir, privé de sa sève « originelle ». Or, qu’en-est-il des imaginaires individuels qui façonnent les espaces intimes des migrants, des métisses issus des migrations de la Seconde Guerre mondiale, du colonialisme, du post- colonialisme, des migrants-métisses et de leurs descendants ?
Telle est l’interrogation transversale de ma démarche, en tant que métisse née d’une rencontre entre deux migrants respectivement issues du cœur des Antilles françaises et de l’Europe orientale. Plastiquement, j’ai choisi de représenter les espaces intimes du déracinement en me démarquant progressivement de cette vision descartienne et anthropocène de domination sur les êtres vivants inanimés. Par le mouvement, les cours d’eau d’aquarelle, les forêts et les feuilles d’huile et de térébenthine ne sont pas circonscrites sur le support et pourtant le définissent par l’incertitude des contours que forment leurs traversées. Aucun cadre, aucun marqueur de délimitation ne contient la nature présente dans mes tableaux. J’ai pu constater que la métaphore végétale pouvait inscrire le parallèle entre l’homme et la nature dans un imaginaire mythique hors de l’autochtonie, en prenant la mangrove pour écosystème, dans laquelle Edouard Glissant voit la créolisation sans pour autant la réduire en symbole. La nature ne se souvient pas de l’homme, mais l’homme doit se souvenir au dépend de la nature. Alors, comment trouver un point de coïncidence entre ces deux contradictions dans les arts plastiques sans historiciser, décontextualiser les violences de l’homme par l’homme ? Plastiquement, la définition de cet espace du déracinement, comme intime, me permet de convoquer l’histoire par le prisme de ma propre mémoire.